Une invitation à se perdre autrement.
Dans un monde saturé de cartes, de listes, de destinations “à faire”, et si le vrai voyage ne consistait pas à suivre… mais à chercher ? Non pas à refaire ce que d’autres ont déjà vu, mais à se mettre en mouvement avec une question, une ouverture, une soif d’inconnu.
« Ne suis pas les traces des anciens. Cherche ce qu’ils ont cherché. »
Matsuo Bashō
Ces mots ont traversé les siècles comme une brise discrète, mais tenace. Écrits par Matsuo Bashō, poète itinérant du Japon du XVIIe siècle, maître du haïku et de la marche lente, ils résonnent aujourd’hui avec une actualité troublante.
Cet article vous invite à laisser de côté les sentiers battus — pas seulement ceux des guides touristiques, mais aussi ceux de l’esprit — pour entrer dans une autre manière de voyager : plus intérieure, plus libre, plus vivante.
Bashō, le poète qui marchait pour comprendre
Au XVIIe siècle, un homme s’est mis en marche sans autre bagage que son regard, son carnet et sa soif d’éveil.
Matsuo Bashō, maître du haïku et moine errant, n’a pas seulement écrit sur le monde : il l’a foulé à pied, de village en montagne, de pluie en silence. Il ne voyageait pas pour arriver quelque part, mais pour habiter le moment, capter le souffle d’un pin tordu, la chute d’une feuille, l’ombre d’un oiseau. À chaque pas, il cherchait non pas le paysage que l’on décrit, mais celui que l’on ressent.
Bashō rejetait les chemins trop tracés, les imitations figées, les certitudes trop sûres. Sa vie fut une marche lente vers l’essentiel : une forme de dépouillement, de dépouillement du regard comme de l’ego.
C’est la manière d’être en chemin, humble, attentif, transformé qui est importante.
Et si l’on voyageait aujourd’hui non pour accumuler des souvenirs, mais pour s’en défaire un instant, à la manière de Bashō ?

Suivre ou chercher ? Deux façons de voyager
Aujourd’hui, le voyage est devenu une trajectoire balisée. On suit des recommandations, des top 10, des hashtags. On visite des lieux déjà vus mille fois, photographiés sous le même angle, à la même heure, dans la même lumière. Suivre, c’est cocher des cases. Chercher, c’est s’en affranchir.
Chercher, c’est partir sans trop savoir ce que l’on espère trouver, mais avec une attention vive, une curiosité lente. C’est regarder un temple désert au lever du jour, et se laisser toucher par une feuille tombée sur les marches. C’est ralentir, se tromper de ruelle, s’asseoir là où il n’y avait rien à voir… sauf ce qui n’était pas prévu.
Dans un monde qui aime les parcours tout tracés, choisir de chercher, c’est retrouver le pouvoir d’explorer avec ses propres sens. C’est faire du voyage une aventure intérieure, et non une simple reproduction d’expériences vues chez les autres.
Et c’est peut-être là, dans cette absence de modèle, que l’on commence à vraiment rencontrer le monde.
Chercher ce qu’ils ont cherché : A la source des expériences
Lorsque Bashō disait « Cherche ce qu’ils ont cherché », il ne parlait pas de paysages à imiter, ni de traces à suivre.
Il parlait de quête intérieure. De cette chose invisible et essentielle que les anciens poursuivaient à travers leurs voyages : la beauté fugace d’un moment, la vérité intime d’une émotion, le lien discret à la nature, ou simplement une meilleure compréhension de soi-même.
Transposer cela aujourd’hui, c’est peut-être accepter de marcher sans but défini, de voyager avec une question au fond du cœur plutôt qu’un programme dans la poche. C’est observer sans juger, écouter sans traduire, se laisser déplacer plutôt que de tout cadrer. C’est entrer dans le monde sans volonté de conquête, mais avec l’humilité de celui qui cherche ce qu’il ne sait pas encore formuler.
Voyager ainsi, c’est s’exposer à l’imprévu, à l’inconfort parfois. Mais c’est aussi ouvrir un espace pour une autre forme de connaissance : celle qui ne passe ni par les mots, ni par les images, mais par la résonance.
Et si voyager, c’était désapprendre ?
Au Japon, il existe une notion subtile et lumineuse : shoshin, « l’esprit du débutant ».
Elle désigne une posture d’ouverture, une façon d’aborder le monde comme si c’était la première fois, sans a priori, sans savoir figé. C’est une forme de lucidité modeste : je ne sais pas encore, et c’est pour cela que je suis en chemin.
Voyager, dans cette optique, n’est pas tant apprendre qu’accepter de désapprendre. Se délester de ses certitudes, de ses automatismes culturels, de son besoin de nommer ou de classer. C’est reconnaître que l’inconnu n’est pas un vide à combler, mais un espace fertile à écouter.
Face à un paysage nouveau, à une langue inconnue, à un silence inattendu, le voyage nous renvoie à nos propres limites : nos filtres, nos attentes, nos angles morts.
Et dans ce léger vertige, dans cette faille ouverte, peut naître un regard plus juste, plus doux, plus libre.
Message aux voyageurs : Créez votre propre chemin
À vous qui préparez un départ, ou qui rêvez de partir sans date précise, à vous qui avez déjà vu des centaines de photos du même lieu, et qui vous demandez : qu’est-ce qu’il reste à découvrir ?
Il reste ce que vous seul pouvez ressentir.
Ne cherchez pas à retrouver ce qu’un autre a vu. Osez ne pas savoir, ne pas avoir d’avis tout de suite, ne pas tout reconnaître. Osez vous perdre un peu, sans GPS intérieur ni hashtags à cocher.
Marchez sans but. Ralentissez. Respirez. Le voyage ne commence pas là où la route est tracée, mais là où votre regard se trouble un instant, là où votre silence se remplit d’autre chose.
Vous êtes déjà en chemin.
Ce qu’il faut retenir
Ne pas suivre, mais ressentir.
Bashō ne nous enseigne pas une méthode. Il ne donne pas de recettes, pas d’itinéraire. Il murmure, simplement : ne suis pas leurs traces.
Dans une époque qui valorise l’optimisation, la performance, la documentation de tout, choisir de chercher sans savoir ce que l’on trouvera, c’est un acte de résistance douce. C’est accepter de vivre chaque voyage comme une rencontre singulière, une expérience qui ne se répète pas, même dans un lieu mille fois visité.
Cela change tout. Cela nous rend plus présents. Moins guidés par l’image, plus guidés par l’émotion. Moins tentés de collectionner, plus désireux de ressentir.
Et peut-être, en cherchant ce que d’autres ont cherché sans jamais le saisir tout à fait, nous apprendrons à habiter le monde avec un peu plus d’humilité… et de poésie.
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📚 Pour aller plus loin : Découvrir l’œuvre de Bashō
Matsuo Bashō n’est pas seulement une figure poétique du Japon ancien — il est aussi un compagnon de route pour les voyageurs d’aujourd’hui. Ses haïkus, ses carnets de marche et ses pensées forment une œuvre discrète mais immense, où le silence a autant de poids que les mots.
Si vous souhaitez vous plonger dans son univers, vous pouvez commencez par :
- Le Chemin étroit vers les contrées du Nord : Son journal de voyage le plus célèbre. Écrit comme une marche méditative, ce texte tisse le mouvement du corps et la contemplation du monde. Un classique indispensable.
- Journaux de voyage : Ce recueil regroupe d’autres textes majeurs de Bashō, comme Nozarashi kikô, et offre une vision plus large de son itinérance poétique.
- L’intégrale des haïkus : Pour les amoureux de la forme pure. Une magnifique porte d’entrée dans son univers en version originale (kana) et en traduction fidèle. À savourer lentement.
- Haïkus du temps qui passe : Une sélection plus thématique, centrée sur le passage des saisons, le vieillissement, l’éphémère. Une lecture contemplative, douce et accessible.
- Haïkus et notes de voyage – Nozarashi kikô : Une édition qui marie la brièveté du haïku avec le récit sensible d’un périple. Une œuvre à part, très représentative de l’esprit de Bashō.
Lire Bashō, c’est apprendre à voir autrement. À ralentir le monde. Et peut-être à faire de chaque voyage, même le plus proche, une aventure intérieure.






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